lundi 13 octobre 2008

Internet ou l'Internet

Arrobase
J’assistais l’autre jour à un cours d’une utilité discutable (mais n’en déplaise à certains esprits chagrins, je vais en cours, moi) ou notre éminent professeur, appelons le monsieur F. soulignait comme à son habitude diverses fautes orthographiques et grammaticales dues aux irrégularités de notre belle langue. Il en est venu, pour la deuxième semaine consécutive à appuyer lourdement sur le mot Internet. Il faudrait, d’après lui, dire l’Internet. Avec un « L » apostrophe, en vertu du principe qui fait qu’on ne dit pas « j’ai téléphone » ou « je regarde télévision ». L’Internet, donc. Ce qui bien entendu est ridicule, d’autant que monsieur F. avouait lui même être limité sur le sujet de l’informatique, et que le cours ne portait pas sur des considération de langage de toute façon.

Qui dit l’Internet ? Vous ? Si tel est le cas, demandez vous pourquoi.

Pour ma part, je n’ai pas de connexion à l’Internet, mais bel et bien une connexion Internet. D’ailleurs, si j’ai bien retenu une chose des cours de linguistique diachronique, c’est que l’usage finit par l’emporter, et que nos académiciens peuvent bien s’accrocher à des pratiques absurdes qui font rire tout le monde, c’est l’usage seul, en non pas les règles bancales d’une langue déjà pleine d’irrégularités qui fixera le mot.

Car le principe qui veut qu’on dise « l’Internet » EST bancal. Je vous invite à lire l’article suivant qui le montre bien, et qui prouve, s’il en était encore besoin, que nos vieillissantes têtes pensantes feraient bien de se mettre sérieusement à surfer sur le Net, et de compulser en particulier le site du CLVE avant de sortir des âneries.

Doit-on dire "Internet" ou "l'internet" ?

En apparence, le débat semble une classique opposition entre l'usage (la version sans article est largement majoritaire) et la règle (la logique voudrait l'article). On peut même lui donner un accent politique: il s'agirait d'un combat entre les puristes de la langue et l'aristocratie distinguée de la micro d'un côté (celui de l'article) et de l'autre côté le peuple farouchement libre de dire ce qu'il veut. En fait, c'est plus compliqué qu'il n'y paraît.

D'abord les arguments des puristes ne sont justement pas très purs. Il faut dire l'internet, disent-ils, parce que c'est un nom commun et non un nom propre. Internet n'est pas une marque, mais une chose, une abstraction, un réseau de réseaux, une technique de communication. On ne dit pas "J'ai téléphone chez moi", mais "J'ai le téléphone". Très bien, mais alors pourquoi les mêmes puristes mettent-ils le plus souvent une majuscule à Internet? A la différence de l'allemand, le français ne met pas de majuscules aux noms communs, sauf à Dieu et à Etat, et à quelques autres de ce calibre-là. Si l'article ravale internet à un nom commun, la majuscule l'enfle ensuite bien au-delà de ce que la plus ambitieuse des marques n'oserait espérer.

Un exemple (parmi cent) dans le récent dossier de la Fnac sur les appareils photos numériques, page 17: "Fujilabnet: vos photos numérisées sur l'Internet".

Le Monde (généralement partisan de l'article) dans son édition du 24 novembre consacre un article au rachat de Netscape par AOL: on trouve une accroche en une avec l'expression "logiciels de navigation sur Internet", sans article donc, puis page 18, deuxième colonne, "le jeune secteur de l'Internet". Mais l'article se conclut par l'évocation du "marché d'Internet". Le principe, maladroit, de l'article est bien difficile à respecter.

D'ailleurs, si les puristes écrivent "ce micro permet de se connecter à l'Internet", ils laissent volontiers passer "lien Internet" ou "site Internet". Or, et la majuscule importe peu ici, on ne dit pas "prise téléphone" mais "prise DE téléphone", "écran télévision" mais "écran DE télévision". On devrait donc dire "site d'internet" et "liens d'internet", si on suivait leur logique. C'est évidemment absurde. Il s'ensuit donc que, contrairement aux apparences, Internet est bel et bien un nom propre. Il a une majuscule et il s'utilise comme un nom propre, sans article. Ce n'est pas une marque, mais c'est un nom propre.

Dire "l'Internet" est alors une variante de berrichon branché, comme dire "l'Albert" ou "la Jacqueline".

En fait le français a utilisé le mot comme un nom de média. Comme dans "je reçois Canal Plus", "décodeur Canal Plus", "antenne TPS", etc… Si les mots génériques existent bien pour les médias traditionnels (LE satellite, LE câble, LA télévision), l'internet (sans majuscule) s'est trouvé écrasé sous Internet, dont on nous a expliqué lors de sa popularisation en France, qu'il s'agissait d'un réseau bien particulier, d'une technique spécifique, originale au sein d'un ensemble plus vaste (la télématique?) dont on avait un autre exemple sous les yeux avec le Minitel (avec une majuscule).

Il y a donc bien une anomalie, et personne ne dit Web tout court (j'ai trouvé un truc marrant sur Web ???) mais le web, d'ailleurs sans majuscule. Mais cette anomalie est assez belle : un nom commun fonctionnant comme un nom propre - l'inverse se voit plus souvent -, une marque sans propriétaire, finalement dire internet tout court c'est rendre hommage à l'utopie qui a pu présider à l'essor de ce réseau des réseaux. C'est la marque sans le commerce, la propriété sans propriétaires, le capitalisme sans capitalistes. C'est sans doute une ruse suprême, mais justement, n'y a t'il pas ce précédent d'un renard rusé devenu Goupil ?

Tendance

Indécise. En France, les médias parisiens penchent pour l'article, et leur poids n'est pas négligeable. En 1998 il n'y a encore qu'un million de pratiquants. Le gros des utilisateurs est encore à venir. Parions cependant que la simplicité s'alliera avec la logique pour bannir la cohabitation contre nature de l'article avec la majuscule.

Dico

Le Petit Larousse Illustré accueille le terme en 1998 mais l'ignorait en 1995. Avanie pour les partisans de l'article, Internet figure dans la deuxième partie, celle des noms propres.

Encarta explique

Historique
Internet est issu du réseau Arpanet, qui fut conçu dans les années 1960 pour le département américain de la Défense. Réseau à usage militaire, Arpanet s’étendit alors progressivement aux universités américaines dans les années 1970, avant d’être remplacé en 1990 par le réseau Internet, destiné dans un premier temps à la recherche civile.

Complément à la suite de la publication dans Le Monde

Monsieur R.J. Chauvet m’a fait parvenir la photocopie de la quatrième de couverture d’un livre de 1970, « Planning moderne et emploi de l’ordinateur », chez Dunod, où l’auteur, Philippe Poré, précise qu’il a participé activement aux congrès Internet de Vienne en 1967 et d’Amsterdam de 1969 ! En 1970, précise ce lecteur, le mot Internet était pour un informaticien « supposé suffisamment connu pour ne pas nécessiter d’explication complémentaire ». Dont acte, mais il faudra donc, tel Livingstone à la recherche des sources du Nil, remonter aux années soixante, dans les limbes du « time sharing » (temps partagé, technique permettant à l’époque de partager un même ordinateur entre plusieurs utilisateurs parfois distants) pour découvrir, peut-être, le vrai inventeur du mot.

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